Lecteur, je vois à ton air circonspect et à ton œil qui chatouille que le titre de cet article t'interpelle. Cela ne te semble pas proche de ta zone de confort qui s'articule plutôt autour des vols et des soirées entre vélivoles fêtards.
Et bien je te rassure, ta sagacité n'est pas éblouie par les doux rayons du soleil de janvier qui pointaient encore faiblardement vers 15h en ce samedi si on regardait dans la bonne direction.
Non lecteur, tu lis bien, ce qui est bien le moins.
Privé d'assemblée générale en décembre, le vélivole a quand même ressenti un faible manque aux alentours du samedi 15 décembre vers 19h, heure où aurait dû avoir lieu la présentation tant attendue du bilan financer. Il n'en fut rien.
Et pour cause, l'AG a été repoussée à une date ultérieure.
Ce report ayant été anticipé, le trésorier pouvait se permettre de prendre un tantinet plus de temps pour clôturer les écritures et les livres, et pour faire passer le Vérificateur.
En des temps reculés, VVMN était une petite association familiale. Les comptes étaient gérés en bon père de famille, on comptait les sous qui entraient et ceux qui sortaient, parfois on comptait les sous qui sautent des barrières avant de s'endormir, tout était joyeux et rose avec des paillettes.
Puis une année, est arrivé le Vérificateur.
Nomination d'un Vérificateur aux comptes (huile sur toile et bois - 1452)
On ne sait pas trop d'où il venait. On ne savait pas trop qui l'avait invité, mais il était là alors on a voulu l'occuper. Et c'est ainsi que le drame a commencé.
Depuis, il revient tous les ans. Il rôde en fin d'année, guettant le bruit de l'imprimante qui produit les liasses de comptes pilotes sur papier encore chaud, scrutant les enveloppes chargées de chèques vacances, humant le doux parfum du stabilo qui regroupe les lignes avant le bilan.
Et quand on croit y avoir échappé, il frappe.
Pour 2020, il avait un peu de retard. Mais il n'avait pas oublié.
Samedi 23 janvier, l'air frais donne un petit coup de fouet qui remonte l'énergie de revélois. Avec son café dans une main et son cabas dans l'autre, François se rend au marché pour faire le plein de fruits et d'huîtres pour le déjeuner. Le plafond est bas mais une belle lueur laisse apercevoir les Pyrénées au sud. François ne se doute pas qu'il vit se dernières minutes de quiétude pour la journée.
Après avoir salué Julio le marchand de jambon et de chorizo au sel de Dieppe, François préfère allonger pour aller au deuxième écailler, celui qui vient directement de l'océan dans son vieux Citroën bleu. Le véhicule penche un peu à gauche à cause d'une vieille habitude de chargement qui a la vie dure. L'écailler aussi.
Virage à droite, François revient dans sa rue. Depuis le numéro 20, il lève la tête pour apercevoir sa porte.
C'est là qu'il l'aperçoit.
Le front dégarni qu'il tente de cacher par un bonnet trop petit, affublé d'un manteau usé et porteur d'une poche contenant ses outils de travail, le Vérificateur attend devant la porte, tout de patience explosive.
François se rappelle maintenant. Il y a deux semaines, ils étaient convenus d'une date. Deux semaines ça paraissait loin, mais maintenant qu'il y est, il regretterait presque.
Presque seulement.
Au fond de lui, François est confiant. Depuis des années qu'il additionne les charges et les produits de l'association, il connaît son sujet. En plus cette année il a eu un bonus de temps pour en faire le tour plusieurs fois, sa comptabilité est propre et terminée. Il ne craint rien.
Sauf que ça ressemble un tout petit peu à un examen quand même.
Revue d'un compte courant (pastel - XVIIIe)
"Je te sers un petit café ?" Oui dans la compta, on se tutoie.
Le Vérificateur accepte, puis s'assied à la table. Deux séries de vibrations caféïnomanes plus tard, l'exercice débute.
La vérification du bilan 2020 se doit de partir sur de bonnes bases : quel était déjà le bilan de fin 2019 ? En comparant le résultat et la somme des actifs, il semble évident que ce point de départ est de bonne facture. La blague était facile, la question aussi question. La réponse est bonne, quant à la blague... on se détend un peu.
S'ensuit la vérification des comptes bancaires, nerf de la guerre et principale source d'occupation de ceux qui n'ont pas tout compris à la comptabilité. Il faut bien faire plaisir au public. Toi aussi vote au 81212 pour dire quel compte bancaire tu souhaites vérifier entre le livret et le compte courant (3,58 € la minute).
Cette partie reste un échauffement. La gestion d'un compte bancaire ne consistant en fait qu'à lire un relevé et vérifier que tout ce qui entre et sort est bien noté dans une écriture comptable. L'étourderie écartée, les additions font le reste.
L'exercice commence à devenir intéressant quand on s'intéresse au patrimoine et à son amortissement. Une machine en moins, une autre qui perd de sa valeur marchande ? Rien ne va sur le compte bancaire mais le bilan est impacté. Et pourtant les sous ne disparaissent pas. Tout est compté, justifié et affiché dans une catégorie du bilan annuel. Le Vérificateur hausse un sourcil d'approbation, c'est propre.
Passage rapide par les fournisseurs créditeurs, on identifie immédiatement une facture qui n'était pas réglée à fin octobre, payée depuis. Broutille.
Pause respiration. La première feuille du bilan est passée, la compta tient bon et François aussi. Le Vérificateur n'a rien dit, il ose parfois un trait d'humour. L'ambiance est plus détendue.
Deuxième mi-temps, auscultation de la balance des charges et des dépenses. Le jeu ici est de vérifier que toute dépense a une facture, et qu'à chaque fois on identifie bien qui a payé, si c'est le club directement ou si un membre a fait une avance qui dans ce cas doit être portée sur son compte, impactant ainsi tout de même le bilan via l'actif des comptes pilotes. Pour l'argent qui entre, il faut également en connaître la source et la justification, même si dans ce cas c'est plutôt le club qui émet la facture. A part une facture rangée sous le mauvais intercalaire et qui occasionne un léger moment de doute, tout est sa place.
Il y a le bon trésorier, et le mauvais trésorier. La bon trésorier récupère les factures, note qui a payé, entre une écriture comptable et range la facture dans le classeur de l'année afin d'assurer un bilan facile au moment de clôturer. Le mauvais trésorier rate une de ces étapes, et ça devient immédiatement le bordel.
Adepte des grands livres et de St François (halogénures d’argent sur cellulose - 1986)
En aéronautique et pour les fans de la théorie des plaques à trous, on vous apprend que chaque plaque est une barrière de sécurité (formation, réglementation, entretien de la machine...). Les plaques sont pleines au départ. Si vous ne respectez pas une de ces plaques, vous faites un trou dedans, mais grâce aux autres plaques l'accident n'arrivera pas.
En comptabilité vous partez à l'envers. Toutes les plaques sont pleines de trous, et votre boulot consiste à boucher les trous dans toutes les plaques pour éviter l'accident. Sachant que dans n'importe quelle structure professionnelle ou associative, quand le trésorier bouche un trou il y a souvent un membre qui en creuse un autre derrière lui ("quoi quel ticket de caisse ?", "je ne sais plus ce que j'ai fait de ces 20 euros", "tiens voilà 3 factures pour 5 dépenses, j'ai payé la moitié en liquide et le reste avec quelques litres de fioul").
Et bien en ce samedi de janvier, le Vérificateur a pu confirmer que François est un bon trésorier.
Ou sinon vous attendez l'AG. Vous aurez des colonnes avec des chiffres, et ya des gens qui diront que c'est bon. Vous pourrez voter au 81212 pour dire que vous êtes d'accord.
3,58 € la minute.
1 commentaire:
Excellent !
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